La transition écologique ne doit pas se faire au détriment des conditions de travail

La transition écologique ne doit pas se faire au détriment des conditions de travail

Selon une consultation réalisée par l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact), 43 % des agents publics craignent que la crise climatique ait un effet défavorable sur leurs conditions de travail. Il est indispensable d’allier coconstruction, pédagogie et formation pour mener des politiques environnementales ambitieuses qui ne se fassent pas au détriment du personnel estime Annick Fayard, secrétaire nationale de l’UNSA Fonction publique, dans une interview à "Acteurs Publics"


Retrouver cette interview dans  "Acteurs Publics"

 

Quel lien faites-vous entre transition écologique et conditions de travail ?


Nous savons maintenant que nous allons connaître des événements climatiques à la fois plus violents et plus récurrents, comme des tempêtes, des inondations ou des périodes de gel, qui pourront impacter les conditions de travail. Par exemple, les périodes caniculaires sont plus fréquentes et certains locaux ne sont pas équipés de climatisation. Ce sont des éléments qui doivent être mis sur la table dans le cadre d’instances dédiées. On ne doit pas attendre que les événements climatiques se produisent pour aborder cette réflexion devant les formations spécialisées des CSE [Les comités sociaux et économiques, représentatifs du personnel, ndlr].

 

Quel regard portez-vous sur les politiques de sobriété mises en place dans les administrations afin de baisser leur consommation d’énergie?


Il est absolument indispensable que l’État et tous les employeurs publics soient particulièrement exemplaires en ce qui concerne la transition écologique. Ce qui serait extrêmement nocif serait justement de ne rien faire. Mais si les politiques de sobriété se traduisent par une approche systématiquement segmentée, elles ne risquent pas de fonctionner. Nous considérons qu’il faudrait aborder la question de manière plus globale, avec un vrai plan d’action fixant des objectifs à atteindre, et qui ne considère pas seulement la surveillance du mercure l’hiver. De la consommation d’eau à la mobilité, nous sommes conscients que la crise climatique va impacter l’ensemble de notre travail. Nous devrions donc identifier toutes les thématiques concernées avant d’élaborer une stratégie pluriannuelle à court, moyen et long termes.

 

Les managers, comme les agents, n’ont pas été suffisamment formés au management hybride. Comment préconisez-vous de mettre en place ce plan d’action ?


Il faudrait y associer l’ensemble des parties prenantes. Les agents vont être les premiers concernés par les transformations, que ce soit dans leurs conditions de travail, l’évolution des missions et la conciliation vie privée-vie personnelle avec les nouvelles modalités d’exercice. Nous nous attendions à ce que, à l’instar de ce qui a été reconnu aux salariés du privé, les CSE puissent avoir des compétences dans le domaine environnemental. Une de nos revendications est de pouvoir être partie prenante sur ces questions. On aimerait aller plus loin et plus vite étant donné l’urgence des enjeux, mais pour cela il faudrait que les agents soient directement associés, afin qu’ils ne subissent pas cette transition mais la vivent comme une opportunité. Agir sous la contrainte pourrait générer de l’incompréhension et de la frustration.

 

Le télétravail des agents peut-il être une solution pour réduire l’empreinte carbone des administrations ?


Face à l’augmentation des pics de chaleur, le ministre de la Fonction publique, Stanislas Guérini, répond qu’il faut mettre en place davantage de télétravail. Les études post-Covid ont démontré que l’extension obligatoire du télétravail avait de très fortes répercussions sur les conditions de travail, notamment celles des femmes, car elles étaient moins bien installées chez elles que les hommes (dans la cuisine, avec les enfants…). Des efforts de la part des employeurs publics sont nécessaires pour développer des politiques de télétravail plus équitables, par exemple en établissant des partenariats avec des tiers-lieux. Et si le télétravail a montré des évolutions nécessaires, je pense que les managers, comme les agents, n’ont pas été suffisamment formés au management hybride. Le télétravail implique de nouvelles compétences tant chez les managers que chez les agents eux-mêmes afin qu’un travail harmonieux puisse continuer. Et il faut se rappeler que tous les postes ne sont pas télétravaillables.

 

Des mesures sont-elles spécifiquement prévues pour ces postes-là ?


La semaine de quatre jours a été évoquée comme une solution pour les postes non télétravaillables, Bercy est volontaire pour l’expérimenter et certaines collectivités veulent dès à présent la mettre en place. On remarque qu’elle fonctionne dans les entreprises qui l’associent à une réduction du temps de travail. Mais si l’on conserve la même durée sur quatre jours, il y a beaucoup moins de volontaires, car les horaires allongés ne permettent pas aux employés d’aller faire leurs courses ou chercher leurs enfants à l’école, par exemple. Une réduction du temps de travail est indissociable de la semaine de quatre jours, afin d’éviter des phénomènes de saturation qui pourraient réduire les gains de productivité. 

 

Il est essentiel que les agents comprennent pourquoi ils vont devoir adapter leurs missions. Certaines administrations ont-elles commencé à engager des mesures ?


À l’Unsa, nous avons vu légitimer des restrictions drastiques sur la doctrine de l’aménagement de l’occupation des locaux via une circulaire envoyée par Élisabeth Borne en début d’année. Celle-ci portait sur l’aménagement des biens immobiliers de l’État et nous demandait de faire des économies en modifiant les ratios des bâtiments tertiaires. Cela vise à réduire les espaces de bureaux et à calculer différemment les quotas leur étant affectés en termes de surface, ainsi qu’à aménager des espaces qui n’étaient pas inclus dans les bureaux, comme les salles de réunion. Concrètement, cette politique revient à substituer à la notion d’environnement de travail celle de position de travail : il suffit d’une prise, d’une connexion Internet, d’éclairage et d’une assise pour être considéré en poste de travail.


Cette nouvelle circulaire, qui implique de grands changements au niveau des conditions de travail pour les années à venir, ne prend pas en compte les conséquences sur la santé des agents. Elle n’a pas fait l’objet d’une étude d’impact sur les conditions de travail et sur le droit qui régit la santé au travail des agents publics, fondé sur la question de l’aménagement des postes. Sans anticipation et sans dialogue social, la transition se fera sans les agents, et on paiera les pots cassés derrière.

 

Comment engager des politiques de changement en faveur du climat sans affecter les conditions de travail des agents ?


La condition est d’intégrer les réflexions dans le dialogue social et de s’assurer des moyens et des conditions nécessaires à la mise en place des dispositifs. Plus vous associez en amont les agents, plus vous aurez un taux d’acceptabilité important. Si l’on n’explique pas le gain pour la structure et pour les agents des nouvelles politiques, cela ne fonctionne pas. Par exemple, la mise en place de la semaine de quatre jours doit être accompagnée d’une réduction de temps de travail et celle du télétravail de l’accès à des tiers-lieux.


Il faut fixer des objectifs et un calendrier et donner davantage d’autonomie aux agents pour les réaliser. Les gains potentiels seront des relations plus horizontales, plus empathiques et plus transversales. Ainsi, un nouveau management permettrait de gagner en qualité de travail. Si on part sans les agents et qu’ils s’aperçoivent qu’ils doivent appliquer une nouvelle norme du jour au lendemain sans avoir été prévenus, cela risque de générer de nouvelles difficultés. Plus on s’y prend en amont, plus on associe et plus on accompagne dans la mise en œuvre, plus c’est accepté et chacun en ressort gagnant. C’est pour cela qu’il est indispensable de sensibiliser les agents à la transition écologique : le plan de formation engagé par le gouvernement va donc dans le bon sens. Il est essentiel que les agents comprennent pourquoi ils vont devoir adapter leurs missions. En effet, que ce soient les policiers, la sécurité civile ou encore les professionnels de la santé, toutes les professions de la fonction publique vont considérablement changer. On ne sait pas ce qui nous attend. Les agents vont être aux premières loges, il faut donc regarder l’ensemble des périmètres de la fonction publique et entamer les transitions en cinq-dix ans que l’on aurait dû commencer il y a trente ans. Nous croyons souvent perdre du temps à former, à faire de la pédagogie, alors que cela permet finalement d’en gagner beaucoup. Sinon, on attire la peur et la suspicion. Surtout qu’en tant que fonctionnaires, nous pourrions être un levier efficace pour accélérer la transition écologique.

 

Propos recueillis par Philippine Ramognino

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